Straight to hell

Juin 2017 ; 2 semaines avant l’envoi aux urgences puis à l’hôpital psy

J’ai beau relire ce que j’ai écris au début de la descente aux Enfers je ne suis pas rassurée. Je me sens beaucoup plus mal aujourd’hui. Je suis au fond par rapport à avant. Et le pire c’est que je n’arrive pas à savoir pourquoi.

Dormir. Pleurer. Dormir. Pleurer. Dormir. Manger de temps en temps puis pleurer et dormir. Je suis triste tout le temps. Je n’en peux plus de cet état aussi pathétique. Pourtant je sais que je ne suis qu’à moitié responsable de ce que j’ai fait. Que j’ai fait tout ce qu’il fallait pourtant me voilà amorphe et désemparée.

Je suis fatiguée, je n’en peux plus de lutter.
Ma mère me manque malgré tout.
Je ne sais plus quoi dire, quoi faire.
Je dors énormément, je nais plus que ça pratiquement.

Elle avale un gorgée de bière ambrée pour faire passer son AD.

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J’ai relu tout ce que j’ai écris depuis octobre 2015. Encore…

J’aimerais aller mieux. Selon la psychologue ce serait possible grâce à un-e psychiatre. Celle conseillée par la généraliste ne prend plus de patient-e-s. Génial. Y en a deux autres avec des avis bien négatifs. J’en ai marre. Je fais quoi ? Je les tente tous ? J’ai la flemme mais en même temps je n’arrive plus à rien.
J’ai envoyé un sms à ma mère pour lui dire qu’elle me manquait. J’ai envie de la voir mais j’ai trop peur de pleurer tout le temps et de ne savoir quoi dire, ou plutôt de n’avoir rien à dire. Elle veut voir mon sourire mais il a disparu. Elle me dit qu’on va y remédier car elle c’est quand elle ne me voit pas qu’elle n’a pas le sourire.

J’aime ma mère malgré tout car elle fait tout ce qu’elle peut pour m’aider et elle est sincère. Elle a des tas de défauts et n’a pas su nous protéger mon frère et moi mais elle a toujours essayé de trouver des solutions, de me faire plaisir. Elle fait ce qu’elle peut pour me soutenir Et puis elle commence à comprendre qu’elle ne doit pas me transmettre ses peurs. Hier au lieu de me dire que mon état l’attristait, qu’elle n’en pouvait plus, elle m’a dit qu’on allait s’en sortir. Quand j’y repense c’est rassurant de savoir que ma mère a retrouvé ses forces au moment où je suis au sol.
Je veux croire que je peux m’en sortir. Que je peux encore trouver la force de résister.

Montagnes russes

C’est impressionnant ce qui peut se passer en 5 jours. De l’extérieur c’est difficile voire impossible à voir. Pour moi c’est autre chose.
Ma mère qui mélange le passé et le présent concernant mon oncle.
Les pleurs puis le réconfort.
Retourner voir mes grands-parents après un an et demi d’absence.
Passer un weekend sans Naton. Tenir bon. Puis craquer parce qu’il n’arrive pas.
Son père qui me dit de me mettre au yoga, sa mère qui me dit « ça suffit maintenant arrête de pleurer ! », ma mère qui me dit du Reiki. Mais qu’est-ce qu’ils connaissent de la dépression, de l’anxiété, d’un séjour en HP, de mon ressenti ?! Question rhétorique. Rien. Ils ne savent rien de ce que j’ai vécu, traversé, subi, enduré, expérimenté. Je ne peux que leur montrer un aperçu, mais cela ne suffira pas. Il faudrait déjà qu’ils osent regarder, ne pas détourner le regard face à la souffrance et à la cruauté qui font partie de la vie, de MA vie.
Personne n’a à me juger, à me dire quoi faire, quoi dire et penser. Personne ne s’est effondré puis relevé comme je l’ai fait. Je voudrais bien les voir à ma place tiens, juste 20 minutes, juste pour rire (jaune.)
Je vais devenir plus forte qu’eux mais putain j’aimerais qu’ils me laissent le temps de me (re)construire. Qu’ils me laissent forger mes nouvelles armes et repartir au combat. Qu’ils me laissent apprendre à prendre soin de moi.
Cicatriser une plaie béante depuis 25 ans en quelques mois ce n’est pas possible. Sur ce je vais me mettre des cotons imbibés d’eau de bleuet sur les yeux.

 

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Aquarium tropical du Palais de la Porte dorée, Paris, juin 2016.

Et je me sens comme une merde.
Pauvre petite conne traumatisée.
Malade mentale moche et incapable.
Bonne à rien. Nulle sur tous les plans Tous les points. Inutile et fébrile. Pas foutue de trouver un travail, une activité, d’aller bien.
Une vieille meuf qui ne sait même pas cuisiner. Une handicapée de la vie qui ne fait que pleurer. Dégueulasse irrécupérable. Déchet impossible à recycler.
Un vilain parasite qui fait pitié.
Mais c’est faux putain !
C’est faux ! Je vais le prouver à moi surtout, aux autres après.

« Le monde est un pervers
Et je continuerai de le braver
Parce que le monde est un enfer
Plus rien ne m’atteindra… »

Dunkerque – INDOCHINE

Quand le voile se déchire

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Oeuvre réalisée pour le bac d’arts plastiques (2010).

On entre dans le vif du sujet donc attention, je vais causer d’inceste, de viol, d’idées de mort, de suicide, dépression, drogues.

Octobre 2015. J’ai obtenu mon diplôme de journaliste web il y a un an, été rédactrice web pendant 6 mois et ai fait découvrir à mon copain la Crète. Les démons du passé semblent loin. J’enchaîne les candidatures et les entretiens. Je suis bien partie pour intégrer la rédaction d’un hebdomadaire parisien spécialisé dans l’architecture et l’urbanisme. Tout va bien dans le meilleur des mondes, ou presque.

Mon petit frère est déscolarisé depuis ses 16 ans. Le lycée n’en voulait plus et lui ne voulait plus du lycée. Son problème avec l’école ne date pas d’hier. Dès la primaire il a du mal à s’intégrer, n’accroche pas avec les autres et l’autorité. Cela fait des années qu’il reste enfermé dans sa chambre à jouer aux jeux vidéo, il n’en sort que pour manger ou aller aux toilettes. Il n’a envie de rien. Il attends que les parents le foutent dehors. Il attends de mourir. Personne ne comprend. Lorsque ma mère lui propose d’intégrer le service « addictologie » à l’hôpital de jour, il accepte.

Les jours passent. Je lis toujours plus de textes féministes, d’articles à propos des violences sexuelles et c’est là que ça fait tilte. Soudain le voile se déchire. Mon cerveau lève le refoulement et la vérité m’éclate à la gueule… J’ai violé mon frère. Pas une fois ou deux, non. Je l’ai malmené de mes 8 ans à mes 14 ans, toujours lorsque nous nous retrouvions chez mes grands-parents… Soudain tout devient clair et logique. Le comportement de mon frère résulte des traumatismes que je lui ai infligé pendant des années. Je tiens la clef de tout. Avec ça nous pouvons le sauver.

Pendant 2 semaines je cogite, retourne le truc dans tous les sens… Qu’est-ce que je dois faire ? Beh le dire sale conne ! Y a que ça à faire. Mais, je vais tout exploser, je vais détruire ma famille, je vais tout retourner et me retrouver en prison… Peut-être mais en attendant ton frère il crève à petit feu depuis son enfance, il est mort vivant, tu l’as bousillé la moindre des choses c’est de tenter de le sauver. J’hésite. Est-ce que je dois le dire à mes parents en premier ou à mon frère ? Mais si je lui en parle est-ce que je ne vais pas répéter les agressions du passé ?

Finalement je me résous à tout dire à notre père. C’est soit ça, soit la mort or je refuse de me foutre en l’air car aujourd’hui je suis sincèrement aimée, et puis j’ai plus que déconné, je dois assumer. Donc je balance tout un dimanche soir. Mon père reste sur le cul bien évidemment. Il ne veut pas y croire mais moi j’y crois, j’ai des preuves, je sais, j’ai lu. L’attitude de mon frère est celle d’un-e survivant-e. Il a besoin d’aide. Il est en souffrance extrême.

Les semaines suivantes mon père fera comme si rien n’avait changé mais moi je sens bien qu’il me considère à présent comme une pestiférée. Je reste seule dans ma chambre. J’enchaîne les joints en me demandant ce qu’il va advenir de moi. La nuit je fais des cauchemars quand je ne fais pas d’insomnie, je me réveille en pleurs. Rapidement je n’arrive plus à m’alimenter. Seuls les liquides et la fumée passent… Une nuit je suis violemment réveillée par une terrible crise d’angoisse. La première de ma vie. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. J’ai l’impression que je vais mourir. Je me traîne comme je peux dans l’appartement. Ne demande pas d’aide. Je ne le mérite pas. Je mérite la souffrance et la mort.

Le lendemain je vais chez la doc de famille et lui fait part de ce qui m’est arrivé. Elle m’explique que c’est une crise d’angoisse et me demande si ça va dans ma vie. J’éclate en sanglots et lui explique ce que j’ai fait à mon frère. Elle est choquée. Elle me prescrit du xanax et me demande si je vois un-e psychologue. Je lui réponds que c’est prévu. « Bien, je ne peux rien faire de plus pour vous. Bon courage. » J’ai la haine mais rapidement mon cerveau m’indique que si je dois en vouloir à quelqu’un c’est bien à moi-même. Idée que mon père me répétera quand il me retrouvera en pleurs dans ma chambre : « Ouais bah tu savais ce qui arriverait, t’as fait de la merde maintenant faut assumer. »

 

C’est ainsi que commence mon voyage aux Enfers.

 

17.07.2017

Il fait beau dehors et dans ma tête. Il ferait encore plus beau si je pouvais sortir définitivement d’ici. Il y a toujours au fond de moi cette idée de ne pas trop espérer pour ne pas chuter davantage. Ou juste rechuter car je me sens bien et pleine d’envies et de désirs, ce qui n’était plus le cas depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Des envies et des désirs sincères, non plus dus à mes conneries passées ou pour faire bonne figure.

Je ne me sens plus coupable, responsable de l’injustice dans le monde. Je sais que je suis incapable de m’occuper des plus démunis puisque je n’ai pas le mental pour le faire car je suis moi-même fracassée, fracturée, mais je suis debout. Je ne suis plus à terre. Et je sais que je ne peux pas rester ici car je sens que je vais retomber. Ce séjour en HP était nécessaire et bénéfique mais il doit s’arrêter maintenant.

Je n’ai pas vu Mme Molosse. Je n’ai pas pu lui dire ce que j’avais à lui dire du coup j’ai craqué et évidemment, cela montre que je ne suis pas prête à sortir. Mais je n’en peux plus d’être enfermée et séparée de mon copain. J’allais mieux et voilà que je rechute à cause de cet environnement toxique où macère le mal-être.

Je veux aller de l’avant et on me fait comprendre que ce n’est pas possible, que je dois encore tourner en rond, regarder le temps passer, côtoyer des gens (beaucoup) plus âgés et plus atteints que moi. Comment peut-on aller mieux en ne fréquentant que des gens qui vont mal ?

Je me fous de la télé, des jeux de société, des activités proposées. Je veux mon copain et ma liberté. Purin de merde j’étais bien et ils me font revenir au point de départ. J’en ai marre. Je n’en peux plus. Je veux sortir.

Je me sens moins angoissée grâce à l’appel de mon copain et à celui de mon père. Je pleurs pour évacuer toute l’anxiété accumulée. Je prends le temps de respirer et de me rappeler le courage que nous avons ma famille, mon copain et moi.

Ça y est les patient-e-s s’énervent contre moi car j’ai plein d’appels, que je monopolise la ligne et qu’elleux aimeraient téléphoner. Mais qu’est-ce que j’y peux moi si mes proches sont là pour moi, qu’ils veulent me soutenir, me parler. C’est aussi pour ces raisons que je veux sortir d’ici. Les patient-e-s vont finir par me détester et m’éviter parce que j’ai plus qu’elleux.

Pourquoi on s’acharne sur moi alors que je ne demande rien d’autre que de me laisser tranquille. JE N’Y PEUX RIEN SI ON M’AIME. Je n’y peux rien si on s’inquiète pour moi. Je n’y peux rien si les autres patient-es ont des restrictions, des interdictions, des limitations.

Tous parlent de leurs problèmes, jugent, se moquent des autres, quémandent des clopes. Je fais ce que je peux pour être la plus juste possible, pour embêter personne et pour remonter la pente. Il faut que je parle à une psychiatre.

Je n’ai pas parlé à une psychiatre mais à un infirmier qui m’a confirmé tout ce que je pensais. Je n’ai pas à me préoccuper des autres patient-es, de ce qu’ils pensent de moi, de ce qu’ils me racontent. Si je passe trop de temps au téléphone, ce sont eux, les infirmiers, le personnel soignant, qui me le diront.

Je ne dois pas garder contact avec les patient-es, surtout ne pas leur donner mes coordonnées ; erreur que j’ai faîte avec Kyle, le renoi. Mais voilà je venais de débarquer, je voulais être gentille, faire bonne impression, comme toujours. M’en vouloir pour ça ne sert à rien. J’ai déjà assez de culpabilité en moi. Je dois me concentrer sur moi, faire abstraction des autres, m’en protéger.

Si Mme Molosse ne m’a pas vu aujourd’hui c’est sûrement qu’elle a jugé que ce n’était pas nécessaire et que je vais mieux. Dans un sens c’est vrai. Je mange à chaque repas avec les autres patient-e-s. Je parle sans me mettre à pleurer. Je lis à nouveau. J’ai des envies, des désirs, des projets. Je dors bien. Je ne ressens aucun manque à part au niveau affectif.

Je vois plus clair en moi. Je n’en veux plus au monde entier mais je n’oublie ni ne pardonne ce que certaines personnes m’ont fait. Je réalise que je dis « oui » non par envie mais pour faire plaisir aux autres, pour ne pas être mal vue, pour être appréciée. Or les gens doivent m’aimer pour ce que que je suis, non ce que je fais pour eux. Et qu’est-ce que je suis ? Une jeune femme hypersensible, esthète, imaginative, respectueuse, humble mais qui est pour l’instant cachée sous une tonne d’anxiété, d’angoisse, de tristesse et de culpabilité.

Une jeune femme qui se sent comme une petite fille. Une jeune femme perdue dans son passé, son présent et son avenir. Une jeune femme qui veut vivre malgré tout parce qu’elle sait maintenant qu’elle ne mérite pas de mourir et que son suicide ne résoudra rien, qu’il fera du mal aux gens qu’elle aime et qui l’aiment : son copain, sa famille, ses ami-e-s.

Et je pleurs en silence. Les larmes viennent toutes seules et tombent sur le cahier, sur les draps. Puis je sèche mon visage. Je me mouche et je me calme.

Je ne dors plus pour fuir mais pour me reposer.

Je vais aller voir si la tisane a été servie pour fumer une clope avec. Si ça n’est pas le cas je fumerai juste une clope puis j’irai me coucher après avoir rappelé à l’équipe de nuit que je n’ai pas besoin de leur Zopiclone pour retrouver Morphée, bien que je préférerais retrouver mon copain.

J’ai bu ma tisane, fumé une clope, dit « bonne nuit » à toutes les personnes que j’ai croisé et prévenu l’équipe de nuit que je n’avais pas besoin d’hypnotique pour dormir, à quoi ils ont répondu que c’était bien et que je pouvais toujours venir les voir avant minuit si je n’arrivais pas à m’endormir.

Ce n’est pas grand chose mais cela m’a fait du bien. C’est sûrement le ton de voix posé, leur attitude sereine, leur aura apaisante. Il n’y a qu’eux, qu’elles les infirmiers et les infirmières, qui me détendent ici, qui me rassurent et calment mes angoisses. Ils et elles sont vraiment pros. Je ne comprends pas les patient-e-s qui s’en plaignent, enfin si je crois que je comprends.

Beaucoup de patient-e-s n’acceptent pas d’être malades, fragiles. Beaucoup ont dû être maltraité-e-s par le corps médical, surtout en psychiatrie car beaucoup ont déjà fait plusieurs séjours en HP. Beaucoup n’acceptent pas l’idée qu’ils ont besoin d’être pris-e-s en charge, comme moi il y a quelques jours voire quelques heures.

J’ai encore voulu aller trop vite, brûler les étapes. J’ai fait un pas la 1ère semaine et j’ai cru que j’avais déjà atteint la ligne d’arrivée, du coup je me suis cassée la gueule (encore une fois), mais je me relève grâce au personnel soignant et à mon envie d’aller mieux, de ne pas rester à terre.

13.07.2017

(écrit sur un cahier à partir de ce jour)

Demain soir cela fera une semaine que je suis hospitalisée en psychiatrie pour dépression sévère, anxiété généralisée et envies suicidaires.

Doucement je me résous à l’évidence. Ce séjour en HP est nécessaire. Étant donné les « casseroles » que je me trimballe, c’est même étonnant que je n’y sois pas atterrie plus tôt.

Aujourd’hui j’ai eu droit aux montagnes russes émotionnelles. D’abord parce que je n’étais pas sure de pouvoir avoir des visites. Et je voyais tous les autres patients recevoir leurs proches. Ensuite parce que mon copain pouvait venir me voir à titre exceptionnel. Les heures défilaient et il n’arrivait toujours pas. Les larmes sont venues et je ne parvenais à les retenir.
Heureusement il y a Sally, sûrement mon infirmière préférée. Elle s’est occupée de savoir où en était mon copain et m’a prévenu de son arrivée. J’ai pu le voir, le serrer dans mes bras, l’embrasser. Je l’aime tant. C’est l’homme de ma vie, assurément.

Ma psychiatre, Mme Molosse, m’a reconfirmé que j’avais droit aux visites et de sortir accompagnée dans le parc à partir de ce week-end.
Je vais aussi avoir droit à des activités thérapeutiques en lien avec ma personnalité et mes troubles. Mardi prochain on ira passer la journée à Garboul, près de la mer. L’idée me plaît.

Mes parents me soutiennent. Mon père suit mon séjour de près. Je les aime et ils me manquent. Au fond, ce n’est pas de la justice dont nous avons besoin mais de la psychiatrie, de parole(s), d’écoute(s), de soin(s).

09.07.2017

(écrit sur une feuille de papier)

La blonde à lunettes s’appelle Calice et me gave de plus en plus mais j’arrive à en faire abstraction.
Je m’accroche de toutes mes forces au principe n°7 de la Charte de la personne hospitalisée : « La personne hospitalisée peut, sauf exception prévue par la loi, quitter à tout moment l’établissement après avoir été informée des éventuels risques auxquels elle s’expose. » Pourtant au fond de moi il y a toujours une petite voix qui me dit de ne pas trop y croire. De ne pas trop espérer. J’aimerais qu’on entende mes vœux, mes prières, mes souhaits et qu’ils soient exaucés. Au mieux j’en ai pour 2 semaines. Au pire… Je ne préfère pas imaginer le pire. Quand je vois l’état de certains patients, que j’entends les histoires de certains et certaines, je me dis que je n’ai rien à faire ici. Ma place est dehors à faire avancer les choses avec ma famille. Ma place est auprès de mon copain et de mes ami-e-s.
Purin comment fait-on pour convaincre une psychiatre qu’on est stable ? La stratégie c’est de jouer au bon petit soldat, de ne pas aller contre les médecins et le principe d’hospitalisation. De dire que ce séjour était nécessaire et bénéfique car maintenant je suis prête à affronter le monde et la vie. Et surtout sourire. Ne pas pleurer. Pleurer = échec = malade. Je dois les mettre dans ma poche (les psychiatres et les infirmiers) afin de sortir le plus vite possible d’ici.

La chambre qu’on m’a donné est mon refuge. Depuis que je suis ici soit un peu plus de 24h, mes envies suicidaires augmentent, mon anxiété également. Bien qu’il paraît que ce soit le secteur le plus calme, les cris, les tambourinages de porte, les confrontations entre patients m’effraient. Il y a aussi cette espèce de trafic de clopes qui fait que je ne peux fumer tranquillement et puis, comble de l’horreur, il y a aussi la mère de Biddy Bird et ça, ça m’angoisse plus que tout.
Je veux sortir d’ici. Je ne sais pas si c’est possible. Je préfère ne pas me faire de faux espoirs. Mais si je dis à la psychiatre que je me sens mieux que vendredi, que je ne pense plus au suicide, qu’au contraire le fait d’être hospitalisée me fait plus de mal que de bien et que les patients me font peur et m’entraînent vers le fond, peut-être qu’on me laissera sortir.
Je me raccroche à l’idée de sortir d’ici au plus vite. Si je mange correctement, que je ne pleurs pas et que je souris fréquemment la psychiatre me laissera peut-être sortir, j’espère. Je n’ai rien à faire ici. Je ne tiendrai même pas une semaine. Oh oui j’espère de toutes mes forces que je vais sortir d’ici. Que ce n’était que pour le weekend. Je ne supporterai pas de rester là plus longtemps.
Le pire ce sont les autres patients.

La pire c’est Calice aka la blonde aux lunettes qui me suit partout depuis que je lui ai filé des clopes. Elle m’oppresse, m’angoisse et m’exaspère. Toujours à me suivre, toujours à me demander des clopes. Elle me fait limite plus peur que le jeune héroïnomane qu’elle déteste. Au moins lui ne me suit pas partout où je vais et ne me quémande pas des garots toutes les 5 minutes.
Alors que dire pour que la psychiatre me laisse sortir ?

Je me sens mieux, plus tranquille, beaucoup moins angoissée. Je n’ai plus d’idées/d’envies suicidaires. Je mange correctement même si la nourriture n’est pas super. Je me sens plus sereine même si certains patients me stressent, enfin certains, une surtout. La blonde aux lunettes qui répond au doux nom de Calice.
Est-ce seulement possible de sortir d’un HP au bout de 2 jours ? J’aimerais. Oh bon sang qu’est-ce que j’aimerais. Mais les infirmières me parlent de permissions, de droit de visites, non de sortie. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut choisir d’aller en HP. Les gens passent leur temps à déambuler en attendant l’heure des médocs et des repas.
Quand je vois les activités proposées je prends bien conscience de l’infantilisation.

08.07.2017

(écrit sur une feuille de papier)

Enfin nous y voilà… L’HP.
Effexor et valium et tercian…
J’ai peur. Peur des autres patients qui ont des problèmes « moindres ».
Si je sors c’est la Justice qui m’attend… Les infirmières sont gentilles. Heureusement qu’elles sont là. J’ai la sensation d’être en prison. La blonde aux lunettes se rapproche de moi mais c’est juste pour mes cigarettes. Enfin, elle m’en a quand même donné une au début.
La première nuit j’ai rêvé d’un lieu idyllique en tant qu’HP. La douche froide au réveil. D’ailleurs une douche j’en ai pris une.
La patiente du nom de Sissi me semble gentille, comme celle avec son ruban, c’est elle qui m’a amené au bureau des infirmières. Il y a aussi un jeune héroïnomane qui vivait à la rue. Il est un peu bizarre mais lui aussi m’a encouragé à ne pas pleurer.
Et mes parents ? Qu’est-ce qu’ils vont en penser de mon hospitalisation alors qu’on doit aller voir une juriste la semaine prochaine ? Et mon frère ?
La blonde aux lunettes m’a proposé de faire un scrabble, histoire de passer le temps et penser à autre chose. Autre chose que quoi ? Que je suis enfermée dans un lieu inconnu avec des inconnues ? Pour l’instant tout ce dont j’ai envie c’est d’être seule dans ma chambre et de me reposer. D’écrire aussi. Au moins j’ai le droit à ça.
Des feuilles de papier et un stylo, stylo que je dois rendre aux infirmières. Je pourrais me suicider avec c’est ça ? Je n’ai pas envie de me suicider. J’ai envie d’aller mieux et de sortir d’ici. J’ai envie de parler à une psychiatre de mes problèmes. Et il faut que j’attende lundi. Nous sommes samedi après-midi.
Les infirmières m’ont dit que mon copain viendrait pour m’amener des affaires. J’espère qu’il va ramener des clopes aussi.

Il paraît qu’il faut que je me concentre sur moi et sur le fait d’aller mieux. Je vais tenter de faire ça. Au moins j’ai une chambre pour moi toute seule ; même si je n’ai pas de « volet » à ma porte… J’espère qu’une fois que les médocs auront fait leur effet je pourrais sortir d’ici.
Résumons…

Octobre 2015 : J’avoue à mes parents le mal que j’ai fait mon frère de mes 8 à 14 ans. Je commence à voir une psychologue.

Avril 2016 : J’emménage chez les parents de mon copain.

Juin 2016 : Je commence le Seroplex à 5mg prescrit par la généraliste conseillée par ma psychologue.

Octobre 2016 : Je reprends le travail. La dose de Seroplex augmente.

Février 2017 : La généraliste me met à 20 mg de Seroplex.

Avril 2017 : Fin de mon CDD chez le premier employeur privé de France.

31 mai 2017 : Rencontre avec Martine Pêcheur du centre des Bouts de Chaudrons. Elle m’annonce qu’il faut passer par le pénal pour avoir une thérapie familiale avec elle. Elle me recommande de porter plainte contre moi-même, de me rendre aux flics, à la justice. Je l’explique à mes parents et à mon frère.

15 juin 2017 : Ma psychologue s’inquiète de mon état, je sombre.

Juillet 2017 : Je vois une psychiatre qui me prescrit de la Miansérine.

2 juillet 2017 : J’annule le voyage à Amsterdam car trop mal.

5 juillet 2017 : Mes parents, mon frère et moi rencontrons la psychologue et la psychiatre de mon frère pour leur exposer la situation. Je suis pour l’idée d’aller au tribunal.

6 juillet 2017 : Mon père m’annonce qu’ils ont trouvé une juriste qui veut bien nous recevoir tous les quatre.

7 juillet 2017 : Le rdv avec la juriste es fixé au 17. Je vais chez ma psychologue qui alerte la psychiatre des urgences. Quand je la vois j’éclate en sanglots et ne parvient pas à m’arrêter.
Incapable d’expliquer clairement mon « problème », je suis poussée à accepter l’hospitalisation. Vers 21h30 je suis transférée à l’hôpital psychiatrique.

Comme le disent les témoignages à propos des séjours en HP, tout vous est retiré ou presque : CB, carte vitale, mutuelle, téléphone portable, clefs. Tout ce que j’ai pu garder c’est mon paquet de clopes et mon briquet. Bon, j’ai le droit de garder mes vêtements aussi ce qui n’est pas le cas de la blonde à lunettes. Elle, elle a dû être hospitalisée sous contrainte. J’ai cru comprendre que c’est sa mère qui l’a envoyé ici. Enfin, j’en ai rien à secouer.