Il fait beau dehors et dans ma tête. Il ferait encore plus beau si je pouvais sortir définitivement d’ici. Il y a toujours au fond de moi cette idée de ne pas trop espérer pour ne pas chuter davantage. Ou juste rechuter car je me sens bien et pleine d’envies et de désirs, ce qui n’était plus le cas depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Des envies et des désirs sincères, non plus dus à mes conneries passées ou pour faire bonne figure.
Je ne me sens plus coupable, responsable de l’injustice dans le monde. Je sais que je suis incapable de m’occuper des plus démunis puisque je n’ai pas le mental pour le faire car je suis moi-même fracassée, fracturée, mais je suis debout. Je ne suis plus à terre. Et je sais que je ne peux pas rester ici car je sens que je vais retomber. Ce séjour en HP était nécessaire et bénéfique mais il doit s’arrêter maintenant.
Je n’ai pas vu Mme Molosse. Je n’ai pas pu lui dire ce que j’avais à lui dire du coup j’ai craqué et évidemment, cela montre que je ne suis pas prête à sortir. Mais je n’en peux plus d’être enfermée et séparée de mon copain. J’allais mieux et voilà que je rechute à cause de cet environnement toxique où macère le mal-être.
Je veux aller de l’avant et on me fait comprendre que ce n’est pas possible, que je dois encore tourner en rond, regarder le temps passer, côtoyer des gens (beaucoup) plus âgés et plus atteints que moi. Comment peut-on aller mieux en ne fréquentant que des gens qui vont mal ?
Je me fous de la télé, des jeux de société, des activités proposées. Je veux mon copain et ma liberté. Purin de merde j’étais bien et ils me font revenir au point de départ. J’en ai marre. Je n’en peux plus. Je veux sortir.
Je me sens moins angoissée grâce à l’appel de mon copain et à celui de mon père. Je pleurs pour évacuer toute l’anxiété accumulée. Je prends le temps de respirer et de me rappeler le courage que nous avons ma famille, mon copain et moi.
Ça y est les patient-e-s s’énervent contre moi car j’ai plein d’appels, que je monopolise la ligne et qu’elleux aimeraient téléphoner. Mais qu’est-ce que j’y peux moi si mes proches sont là pour moi, qu’ils veulent me soutenir, me parler. C’est aussi pour ces raisons que je veux sortir d’ici. Les patient-e-s vont finir par me détester et m’éviter parce que j’ai plus qu’elleux.
Pourquoi on s’acharne sur moi alors que je ne demande rien d’autre que de me laisser tranquille. JE N’Y PEUX RIEN SI ON M’AIME. Je n’y peux rien si on s’inquiète pour moi. Je n’y peux rien si les autres patient-es ont des restrictions, des interdictions, des limitations.
Tous parlent de leurs problèmes, jugent, se moquent des autres, quémandent des clopes. Je fais ce que je peux pour être la plus juste possible, pour embêter personne et pour remonter la pente. Il faut que je parle à une psychiatre.
Je n’ai pas parlé à une psychiatre mais à un infirmier qui m’a confirmé tout ce que je pensais. Je n’ai pas à me préoccuper des autres patient-es, de ce qu’ils pensent de moi, de ce qu’ils me racontent. Si je passe trop de temps au téléphone, ce sont eux, les infirmiers, le personnel soignant, qui me le diront.
Je ne dois pas garder contact avec les patient-es, surtout ne pas leur donner mes coordonnées ; erreur que j’ai faîte avec Kyle, le renoi. Mais voilà je venais de débarquer, je voulais être gentille, faire bonne impression, comme toujours. M’en vouloir pour ça ne sert à rien. J’ai déjà assez de culpabilité en moi. Je dois me concentrer sur moi, faire abstraction des autres, m’en protéger.
Si Mme Molosse ne m’a pas vu aujourd’hui c’est sûrement qu’elle a jugé que ce n’était pas nécessaire et que je vais mieux. Dans un sens c’est vrai. Je mange à chaque repas avec les autres patient-e-s. Je parle sans me mettre à pleurer. Je lis à nouveau. J’ai des envies, des désirs, des projets. Je dors bien. Je ne ressens aucun manque à part au niveau affectif.
Je vois plus clair en moi. Je n’en veux plus au monde entier mais je n’oublie ni ne pardonne ce que certaines personnes m’ont fait. Je réalise que je dis « oui » non par envie mais pour faire plaisir aux autres, pour ne pas être mal vue, pour être appréciée. Or les gens doivent m’aimer pour ce que que je suis, non ce que je fais pour eux. Et qu’est-ce que je suis ? Une jeune femme hypersensible, esthète, imaginative, respectueuse, humble mais qui est pour l’instant cachée sous une tonne d’anxiété, d’angoisse, de tristesse et de culpabilité.
Une jeune femme qui se sent comme une petite fille. Une jeune femme perdue dans son passé, son présent et son avenir. Une jeune femme qui veut vivre malgré tout parce qu’elle sait maintenant qu’elle ne mérite pas de mourir et que son suicide ne résoudra rien, qu’il fera du mal aux gens qu’elle aime et qui l’aiment : son copain, sa famille, ses ami-e-s.
Et je pleurs en silence. Les larmes viennent toutes seules et tombent sur le cahier, sur les draps. Puis je sèche mon visage. Je me mouche et je me calme.
Je ne dors plus pour fuir mais pour me reposer.
Je vais aller voir si la tisane a été servie pour fumer une clope avec. Si ça n’est pas le cas je fumerai juste une clope puis j’irai me coucher après avoir rappelé à l’équipe de nuit que je n’ai pas besoin de leur Zopiclone pour retrouver Morphée, bien que je préférerais retrouver mon copain.
J’ai bu ma tisane, fumé une clope, dit « bonne nuit » à toutes les personnes que j’ai croisé et prévenu l’équipe de nuit que je n’avais pas besoin d’hypnotique pour dormir, à quoi ils ont répondu que c’était bien et que je pouvais toujours venir les voir avant minuit si je n’arrivais pas à m’endormir.
Ce n’est pas grand chose mais cela m’a fait du bien. C’est sûrement le ton de voix posé, leur attitude sereine, leur aura apaisante. Il n’y a qu’eux, qu’elles les infirmiers et les infirmières, qui me détendent ici, qui me rassurent et calment mes angoisses. Ils et elles sont vraiment pros. Je ne comprends pas les patient-e-s qui s’en plaignent, enfin si je crois que je comprends.
Beaucoup de patient-e-s n’acceptent pas d’être malades, fragiles. Beaucoup ont dû être maltraité-e-s par le corps médical, surtout en psychiatrie car beaucoup ont déjà fait plusieurs séjours en HP. Beaucoup n’acceptent pas l’idée qu’ils ont besoin d’être pris-e-s en charge, comme moi il y a quelques jours voire quelques heures.
J’ai encore voulu aller trop vite, brûler les étapes. J’ai fait un pas la 1ère semaine et j’ai cru que j’avais déjà atteint la ligne d’arrivée, du coup je me suis cassée la gueule (encore une fois), mais je me relève grâce au personnel soignant et à mon envie d’aller mieux, de ne pas rester à terre.