Quand le voile se déchire

dream
Oeuvre réalisée pour le bac d’arts plastiques (2010).

On entre dans le vif du sujet donc attention, je vais causer d’inceste, de viol, d’idées de mort, de suicide, dépression, drogues.

Octobre 2015. J’ai obtenu mon diplôme de journaliste web il y a un an, été rédactrice web pendant 6 mois et ai fait découvrir à mon copain la Crète. Les démons du passé semblent loin. J’enchaîne les candidatures et les entretiens. Je suis bien partie pour intégrer la rédaction d’un hebdomadaire parisien spécialisé dans l’architecture et l’urbanisme. Tout va bien dans le meilleur des mondes, ou presque.

Mon petit frère est déscolarisé depuis ses 16 ans. Le lycée n’en voulait plus et lui ne voulait plus du lycée. Son problème avec l’école ne date pas d’hier. Dès la primaire il a du mal à s’intégrer, n’accroche pas avec les autres et l’autorité. Cela fait des années qu’il reste enfermé dans sa chambre à jouer aux jeux vidéo, il n’en sort que pour manger ou aller aux toilettes. Il n’a envie de rien. Il attends que les parents le foutent dehors. Il attends de mourir. Personne ne comprend. Lorsque ma mère lui propose d’intégrer le service « addictologie » à l’hôpital de jour, il accepte.

Les jours passent. Je lis toujours plus de textes féministes, d’articles à propos des violences sexuelles et c’est là que ça fait tilte. Soudain le voile se déchire. Mon cerveau lève le refoulement et la vérité m’éclate à la gueule… J’ai violé mon frère. Pas une fois ou deux, non. Je l’ai malmené de mes 8 ans à mes 14 ans, toujours lorsque nous nous retrouvions chez mes grands-parents… Soudain tout devient clair et logique. Le comportement de mon frère résulte des traumatismes que je lui ai infligé pendant des années. Je tiens la clef de tout. Avec ça nous pouvons le sauver.

Pendant 2 semaines je cogite, retourne le truc dans tous les sens… Qu’est-ce que je dois faire ? Beh le dire sale conne ! Y a que ça à faire. Mais, je vais tout exploser, je vais détruire ma famille, je vais tout retourner et me retrouver en prison… Peut-être mais en attendant ton frère il crève à petit feu depuis son enfance, il est mort vivant, tu l’as bousillé la moindre des choses c’est de tenter de le sauver. J’hésite. Est-ce que je dois le dire à mes parents en premier ou à mon frère ? Mais si je lui en parle est-ce que je ne vais pas répéter les agressions du passé ?

Finalement je me résous à tout dire à notre père. C’est soit ça, soit la mort or je refuse de me foutre en l’air car aujourd’hui je suis sincèrement aimée, et puis j’ai plus que déconné, je dois assumer. Donc je balance tout un dimanche soir. Mon père reste sur le cul bien évidemment. Il ne veut pas y croire mais moi j’y crois, j’ai des preuves, je sais, j’ai lu. L’attitude de mon frère est celle d’un-e survivant-e. Il a besoin d’aide. Il est en souffrance extrême.

Les semaines suivantes mon père fera comme si rien n’avait changé mais moi je sens bien qu’il me considère à présent comme une pestiférée. Je reste seule dans ma chambre. J’enchaîne les joints en me demandant ce qu’il va advenir de moi. La nuit je fais des cauchemars quand je ne fais pas d’insomnie, je me réveille en pleurs. Rapidement je n’arrive plus à m’alimenter. Seuls les liquides et la fumée passent… Une nuit je suis violemment réveillée par une terrible crise d’angoisse. La première de ma vie. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. J’ai l’impression que je vais mourir. Je me traîne comme je peux dans l’appartement. Ne demande pas d’aide. Je ne le mérite pas. Je mérite la souffrance et la mort.

Le lendemain je vais chez la doc de famille et lui fait part de ce qui m’est arrivé. Elle m’explique que c’est une crise d’angoisse et me demande si ça va dans ma vie. J’éclate en sanglots et lui explique ce que j’ai fait à mon frère. Elle est choquée. Elle me prescrit du xanax et me demande si je vois un-e psychologue. Je lui réponds que c’est prévu. « Bien, je ne peux rien faire de plus pour vous. Bon courage. » J’ai la haine mais rapidement mon cerveau m’indique que si je dois en vouloir à quelqu’un c’est bien à moi-même. Idée que mon père me répétera quand il me retrouvera en pleurs dans ma chambre : « Ouais bah tu savais ce qui arriverait, t’as fait de la merde maintenant faut assumer. »

 

C’est ainsi que commence mon voyage aux Enfers.

 

Laisser un commentaire